Les Moralia in Iob de Grégoire le Grand dans le Liber glossarum
1. Présentation
Les Moralia in Iob sont l’œuvre qui a connu la gestation la plus longue, puisqu’elle remonte au séjour de Grégoire à Constantinople, donc vers 579/585, quand il était apocrisiaire. En 591, il indique à Léandre de Séville avoir lancé la confection d’une copie (ep. I, 41), et en 595, l’envoi d’une partie de l’œuvre (dont il manquait les troisièmes et quatrième parties) à Séville (ep. V, 53). On n’a pas d’indication que les parties manquantes aient jamais été envoyées (Castaldi 2013, 44). Des indices suggèrent en revanche que Grégoire est revenu au moins à un endroit sur son texte (ep. XII, 6), quand il évoque une correction apportée par lui en moral. 14, 54, 67 (Castaldi 2013, 45). Les Moralia sont aujourd’hui conservés dans 1500 mss. (ibid. 47). Varela Rodriguez (2019) a récemment démontré qu’Isidore de Séville n’a pas connu la troisième partie des Moralia, les livres XI-XVI ayant été introduits en Espagne par Taion de Saragosse (et voir les compléments apportés par Elfassi 2020, 111-112).
L’édition de référence a été donnée par M. Adriaen, 1979-1985 (CCSL 143, 143A, 143B). Ses insuffisances ont été dénoncées (Castaldi 2013, 53), d’autant qu’Adriaen n’a pas exploité l’ample tradition indirecte représentée par Paterius, Lathcen et Taion de Saragosse.
Les Moralia ont fourni au LG la matière de 73 notices.
2. Les tags des entrées
Tag |
Nombre |
Commentaire |
(sans tag) |
12 |
tag glissé ou absent |
Ambrosi et Gregorii |
1 |
combinaison de deux auteurs (cf. infra) ; l’ordre du tag est inversé par rapport à l’ordre d’apparition des auteurs |
De glosis |
1 |
Aucun ms n’attribue de tag grégorien à IR6 Irasci, qui reproduit pourtant littéralement le texte de Grégoire ; De glosis peut être ici un tag apposé a posteriori |
Esidori |
4 |
3 combinaisons associant Isidore et Grégoire ; mais aussi un cas (AR188) où le LG donne un texte de Grégoire qui a inspiré un extrait du De natura rerum isidorien |
Euceri |
1 |
combinaison de deux auteurs |
Gregori |
27 |
|
Gregorii |
23 |
|
Gregorii ex libris moralibus |
1 |
|
Gregorii ex libris moralibus et Ambrosii ex libro examero |
1 |
combinaison de deux auteurs (cf. supra) |
Origenis |
2 |
Le tag Origenis renvoie fréquemment à un tout autre auteur patristique |
Les tags citent à deux reprises le titre de l’œuvre.
Le LG fournit par ailleurs 4 tags Gregori(i) devant des entrées qui ne devraient pas en être pourvues. Si CO24 et ME148 relèvent de la catégorie banale du glissement de tag, les deux autres sont beaucoup plus intéressants. Le tag Gregori de l’entrée YP22 Ypocrita a certes glissé de l’entrée suivante, mais en YP23 c’est Isid. sent. 3, 24, 2, de Greg. M. moral. 18, 7, 2, que l’on trouve. Le cas se reproduit en RE1889 et ST99, dont le tag grégorien ne renvoie qu’à la source ultime de deux passages isidoriens. Le tag Gregorii d’VR26 paraît quant à lui provenir d’une franche confusion ou de la perte d’une fiche : si moral. 3, 28, 27 mentionne bien Urias, c’est cependant Aug. c. Faust. 22, 87 qui est utilisé ici, et non Grégoire.
3. Points particuliers
3.1. Séries et combinaisons
Treize des entrées tirées des Moralia se présentent sous la forme de montages associant Grégoire à d’autres auteurs : Ambroise (3), Augustin (2), Eucher (1), Isidore (4), Grégoire d’Elvire (1), le Physiologus (1), Placide (1). Ces associations ne sont que rarement revendiquées par les tags.
3.2. Tradition manuscrite de la source
L’avancement des études sur Grégoire le Grand ne permet pas de situer le LG dans la tradition manuscrite des Moralia. Il est cependant capital de remarquer que le LG connaît et exploite les livres XI à XVI, rapportés de Rome par Taion vers 649. Les entrées concernées sont au nombre de 16 : AS169. Aspis, BV77. Butyrum, CO1738. Contemptibilis, DE121. Decipula, GL22. Glareas, GL23. Glaream, ME147. Mel, PV180. Pulchritudo, PV284. Punctum, QVO101. Quoqutos, RA72. Radices, RE1592. Respondere, SE317. Sennaar, SV585. Sulfur, VE210. Ventosa uerba, VI257. Vipera.
Comme on pouvait s’y attendre, les Sentences de Taion offrent plusieurs parallèles significatifs, qui concernent l’ensemble des Moralia :
Tag |
Source |
LG |
Taio sent. |
(= Greg. M. moral. 6, 10, 21): |
4, 31 p. 384, 1557 : Stellio dum manibus … |
||
Gregori |
(Greg. M. moral. 14, 53, 113 ; 14, 53, 107): |
1, 29 p. 65, 1271 (voir infra) |
|
Esidori |
(= Greg. M. moral. 23, 22, 5) + (Isid. sent. 2, 38, 2): |
4, 14 p. 355, 795 : Cordis superbia … |
|
Gregorii |
(Greg. M. moral. 32, 23, 70) : |
1, 3 p. 22, 179 : Cherubin quippe …. |
|
Gregorii |
(Greg. M. moral. 33, 29, 65) + (= Ambr. hex. 6, 4, 20): |
2, 44 p. 212, 3121 : Ericius namque … |
|
Euceri |
(Euch. instr. 2 p. 195, 168) + (= Greg. M. moral. 33, 17): |
3, 10 p. 243, 554 : In tympano enim … |
|
(= Aug. civ. 14, 13, 28) + (= Isid. sent. 2, 38, 7) + (= Greg. M. moral. 34, 22, 101): |
4, 14 p. 355, 795 : Cordis superbia cum exterius … |
Un parallèle intéressant concerne l’entrée SE317 Sennaar, commune à Taion et au LG car elle présente les mêmes réécritures et dépend de la partie XI-XVI rapportée de Rome par Taion :
Greg. M. moral. 14, 53 |
Taio sent. |
SE317Sennaar |
113 : Sciendum quoque est quod Sennaar latissima uallis est, in qua turris a superbientibus aedificari coeperat, quae linguarum facta diuersitate destructa est. Quae scilicet turris Babylon dicta est, pro ipsa uidelicet confusione mentium atque linguarum. --- 107 : Sennaar quippe fetor eorum dicitur. |
1, 29 : Sciendum est quod Sennaar latissima uallis est in qua turris Babyloniae a superbientibus aedificari coeperat. Sennaar quippe foetor eorum, quae turris linguarum facta diuersitate, distructa est. |
Gregori: Sennaar latissima uallis est, in qua turris a superbientibus aedificari coeperat, quae linguarum facta diuersitate, destructa est. Quae scilicet turris Babylon dicta est, pro confusione mentium atque linguarum. --- Sennaar autem fetor eorum. |
4, 15 : Sennaar quippe fetor eorum dicitur, quia sicut bonus odor ex uirtute est, ita e contrario fetor ex uitio cupiditatis. Sciendum est quod Sennaar latissima uallis est in qua turris a superbientibus aedificari coeperat quae linguarum facta diuersitate destructa est. Quae scilicet turris Babylon dicta est pro ipsa uidelicet confusione mentium atque linguarum, nec inmerito ibi auaritiae amphora ponitur, ubi Babylon, idest confusio, aedificatur. |
On observe que Taio reprend deux fois l’extrait grégorien, une première fois (sent. 1, 29) en lui faisant subir les mêmes remaniements que dans le LG (interversion des séquences latissima uallis et faetor eorum, et substitution de dicitur par interpretatur), une seconde fois (4,15) de manière plus littérale.
Références bibliographiques
Aguilar Miquel 2022 = Julia Aguilar Miquel, Taio Caesaraugustanus. Liber Sententiarum, Turnhout, Brepols, 2022 (CCSL 116A).
Castaldi 2013 = Lucia Castaldi, La trasmissione dei testi latini del Medioevo. 5. Gregorius I Papa, Firenze, SISMEL, 2013.
Elfassi 2020 = Jacques Elfassi, « Chronique isidorienne VI (2018-2019) », Eruditio Antiqua 12 (2020), 71-115.
Varela Rodriguez 2019 = Joel Varela Rodriguez, « Algunos problemas del uso de Gregorio Magno por Isidoro de Sevilla », Revue d’Études Augustiniennes et Patristiques, 65 (2019), 135-164.