L’Epistula de substantia patris et filii et spiritus sancti de Potamius (Pouange) de Lisbonne dans le Liber glossarum

Anne Grondeux

Université Paris Cité and Université Sorbonne Nouvelle, CNRS,

Laboratoire d’histoire des théories linguistiques, F-75013 Paris, France

1. Présentation

Premier évêque attesté de Lisbonne où il est élu vers 355, Potamius (Pouange) demeure mal connu (voir pour ce rappel biographique Venuti, 2016, 251). Actif dans la péninsule ibérique vers la mi- s., il est surtout connu pour ses hésitations en matière de doctrine christologique, étant passé de l’orthodoxie nicéenne à l’arianisme, avant de revenir au nicéisme après 357. Le corpus de ses écrits comprend deux homélies (De Lazaro et De Isaia) et deux traités doctrinaux en forme épistolaire (Epistula ad Athanasium et Epistula de Substantia), auxquels on doit encore ajouter une Epistula Potamii, transmise de manière fragmentaire et par tradition indirecte, qui est l’unique écrit subsistant de sa période arienne (Venuti, 2016, et Montes Moreira 1975, p. 303-354 ; Conti 1998, p. 1-28 ; Conti 1999, p. 58-63 ; Yarza Urkiola 1999, p. 15-67 ; Conti 2015, p. 33-34 cités ibid.). L’Epistula de substantia a été publiée pour la première fois au début du siècle (Antolín 1908), sous le nom de Jérôme, et il a fallu attendre les années 1930 pour que ce traité sur la Trinité soit publié parmi les œuvres de Potamius (PL, Suppl. I, 200-216). Vraisemblablement élaborée après 360, le traité n’a survécu que dans six manuscrits, dont deux seulement sont complets, tous étant datés à partir du siècle (voir infra 3.1). Il s’agit de manuscrits contenant des œuvres de Jérôme, dans l’épistolaire duquel le texte de Potamius a été placé.

Dans le Liber glossarum se trouvent deux entrées, SV373 et SV374 que Martina Venuti a identifiées comme venant de l’Epistula de substantia de Potamius. Elles reproduisent intégralement trois sections distinctes du texte, qui ont sélectionnées, comme souvent, pour leur intérêt documentaire, et non spirituel. Comme l’indique M. Venuti (2016, 259), la partie de l’épître de Potamius qui est citée et réutilisée renvoie à ce concept d’« encyclopédisme pragmatique » du Liber Glossarum. Il faut leur ajouter une petite glose portant sur un passage de la même Epistula, qui explique la locution nectareos flores, propre à Potamius, par dulcissimos flores, preuve de la familiarité de l’excerpteur avec ce traité.

Hieronimi =

(= Potam. Olisp. subst. p. 209, 32-40)

SV373. Substantia

Item ipsius =

(= Potam. Olisp. subst. p. 227, 190-218 ; p. 233, 247-284)

SV374. Substantia

=

(= ad Potam. subst. p. 257, 541)

NE145. Nectareos flores

2. Les tags des entrées

Les tags des deux entrées Substantia rapportent la source à l’autorité de Jérôme. Comme le souligne Martina Venuti (2016, 255), les œuvres d’un auteur relativement mineur ont survécu grâce à la fausse étiquette de « Jérôme » qui leur a été accolée très tôt. Le tag du LG vient attester que cette attribution est antérieure au s.

3. Points particuliers

3.1. Tradition manuscrite de la source

Nous partons ici des relevés effectués par Venuti 2016.

A Real Biblioteca El Escorial a. II. 3 ; probablement copié à Braga ou à Silos au Xe siècle ; il s’agit du plus ancien manuscrit, adopté comme texte de base des éditions modernes

B Real Biblioteca El Escorial &. I. 4 ; copié au monastère de Monte-Aragón vers la fin du XIIe siècle, il ne dérive pas de A, mais d’un sous-archétype proche

C Madrid, Archivio Histórico Nacional, n° 1007 B (olim n° 1279), copié à San Millán en 933 ; contient une portion du texte correspondant aux lignes 215-246

P Porto, Bibl. Pública Municipal 25 (13.8.5), XIIe siècle, produit à l’Abbaye de Santa Cruz de Coimbra ; contient une section correspondant aux lignes 1-200

F Madrid, Biblioteca de la Universidad Complutense, Fondo Histórico 134 (116-Z-46) ; recueil historique du XIVe-XVe siècle provenant de Tolède ; contient une section correspondant aux lignes

H Londres, BL Harleianus 3169 ; produit au XV siècle probablement en Italie du Nord, il dérive d’un manuscrit wisigothique, probablement espagnol, et se limite aux l. 126-259

D Cordoue, Arch. Cat. 1 ; témoin du s. relevant de la tradition indirecte, identifié par Yarza Urkiola 1999, p. 189 ; contient une portion de texte correspondant aux lignes 285-312.

Le LG est ici un témoin indirect très important, et le plus ancien, de cette partie du texte, qui n’est autrement conservée intégralement que dans les deux témoins complets A et B.

Potamius

Liber glossarum

SV373

(32) perplexitas

prolixitas L2A P, prolaxitas L

illustration des confusions entre systèmes abréviatifs, qui incite à supposer une leçon *per<p>lixitas

SV374

(190) quippe

om. LA P

typique des réécritures du LG

(190) putamus

puta L P, putari A

neutralisation du pluriel typique de Potamius

(207) sibimet substantia reportaret ut sine substantia possit esse nec natura nec pomum

sibimet substantia non possit esse natura nec

pomum LA P

om. per hom.

(247) ita in regno

ita in regnorum LA P

leçon commune à A et H, rejetée par l’éditeur

(261) Nam et pira, prunum

Nam et pira, prunus L P primus (?) A

Prunus est la leçon unanime des mss. de l’Epistula ; elle est confirmée par le LG ; l’éditeur lui a substitué la conjecture prunum

(261) gerula suauitatis

perulas uanitatis LA P

(273) Sed

Sic LA P

Sic est la leçon du ms A de l’Epistula

Ces emprunts sont d’autant plus importants que l’Epistula de substantia est une œuvre qui a peu circulé, même dans la péninsule ibérique, comme en témoigne la faiblesse de sa tradition manuscrite.

3.2. Parallèle avec Taion de Saragossse

L’Epistula paraît avoir été connue de Taion. Sept manuscrits de ses Sentences (ed. Aguilar Miquel 2023), contiennent en effet deux appendices intitulés De cruce Domini et De non uelle mentiri. Le second apparaît comme un résumé du sermon 133 d’Augustin, tandis que le premier se fonde sur un extrait de l’Epistula de Potamius, qui est distinct de celui qu’utilise le LG. Les manuscrits concernés relèvent tous de la recension longue des Sentences, et plus précisément du groupe des manuscrits qui contiennent aussi la lettre de Quiricus de Barcelone à Taion.

Outre cette œuvre

d’exégèse grégorienne, qui constitue le cœur de la production littéraire de Taion,

quelques témoins transmettent aussi ses paratextes (Epistula ad Quiricum

Barcinonensem antistitem, Epigramma operis subsequentis et Quirici episcopi

responsio ad Taionem episcopum) ; bien qu’ils appartiennent normalement à la

tradition des Sententiae, ils sont quelquefois transmis ou édités de manière indé-

pendante

Comme le souligne leur éditrice (Aguilar Miquel 2020), le statut de ces deux textes est impossible à préciser : émanent-ils de l’atelier de Taion, et étaient-ils destinés à venir augmenter encore la recension longue, ou peuvent-ils avoir été produits par Quiricus de Barcelone ?

Références bibliographiques

Aguilar Miquel 2020 = Julia Aguilar Miquel, « De cruce Domini y De non uelle mentiri: dos opúsculos inéditos basados en sermones tardoantiguos (estudio y edición crítica) », Ágora. Estudos Clássicos em Debate 22 (2020) (https://proa.ua.pt/index.php/agora/article/view/14170).

Aguilar Miquel 2023 = Julia Aguilar Miquel (ed.), Taio Caesaraugustanus. Liber sententiarum, Turnhout, Brepols, 2023 (CCSL 116A).

Antolín 1908 = P. Guillermo Antolín, « Opusculos desconocidos de San Jerónimo. “Codex epistolarum” de la biblioteca de el Escorial: A.II.3 », Revista de Archivos, bibliotecas y Museos 12 (1908), p. 207-226.

Conti 1998 = Marco Conti, The Life and Works of Potamius of Lisbon, Turnhout, Brepols, 1998 (Instrumenta Patristica 32)

Conti 1999 = Marco Conti, Potamii Episcopi Olisponensis Opera Omnia, Turnhout, Brepols, 1999 (CCSL 69A).

Conti 2015 = Marco Conti, “Potamius Episcopus Olisiponensis”, in E. Colombi (ed.), Traditio Patrum I. Scriptores Hispaniae, Turnhout, Brepols, 2015, 33-60.

Montes Moreira 1969 = António Montes Moreira, Potamius de Lisbonne et la controverse arienne, Louvain, Bibliothèque de l’Université, 1969.

Montes Moreira 1975 = António Montes Moreira, « Le retour de Potamius de Lisbonne à l’orthodoxie nicéenne », Didaskalia 5 (1975) 303-354.

Venuti 2016 = Martina Venuti, « Girolamo (e Potamio di Lisbona) tra le glosse. Una prima ricognizione », in A. Grondeux (ed.), Le Liber glossarum (s. VII-VIII) : Composition, courses, réception, Dossiers d’HEL, 10, 241-256. ⟨hal-01420121⟩

Yarza Urkiola 1999 = Valeriano, Yarza Urkiola, « Potamio de Lisboa : estudio, edición crítica y traduccíon de sus obras », Anejos de Veleia. Series minor 14, 1999.